Une souche hautement pathogène d’influenza aviaire sévit actuellement en Europe et en Asie. Bien que le risque de contamination au Québec soit encore minime, sa progression impose une mise à jour sur cette maladie et ses multiples variantes ainsi que sur les gestes à poser de la part des éleveurs.
L’influenza aviaire causée par un virus de type A est hautement contagieuse et peut affecter les troupeaux de volailles de toutes les espèces et de tous les âges. Toutefois, ce sont les souches H5 et H7 qui doivent susciter l’attention des éleveurs. « Les oiseaux sauvages sont porteurs de 16 H et de 9 N et toutes les combinaisons sont possibles, mais les virus qui peuvent devenir hautement pathogènes pour la volaille sont essentiellement le H5 et le H7. Depuis 2002, l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) a modifié son règlement. Un H5 ou un H7, même faiblement pathogène, identifié dans un élevage au Québec exige une déclaration immédiate auprès de l’Agence canadienne d’inspection des aliments et du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec et la mise en place d’un processus d’éradication. Cette déclaration étant communiquée à l’Organisation mondiale de la santé animale, il en résulterait une fermeture des frontières à nos produits de la part de plusieurs pays. Ces conséquences sont loin d’être négligeables, explique Jean-Pierre Vaillancourt. L’influenza aviaire est une réalité depuis des années. La maladie est en progression et la fréquence augmente depuis 15 à 20 ans. »
Au Canada
Le Canada a connu quelques épisodes marquants. En 2004, un premier cas de H7N3 est déclaré en Colombie-Britannique : 42 troupeaux commerciaux et 11 petits troupeaux doivent être abattus. Avec les abattages préventifs, c’est finalement environ 80 % du cheptel de la province qui sera dépeuplé pour éradiquer la maladie. La Colombie-Britannique connaîtra trois autres épisodes en 2005, 2009 et 2014. En 2007, la Saskatchewan a déclaré un cas de H7N3 hautement pathogène, heureusement l’éclosion se limite à une ferme et est rapidement contrôlée.
Au printemps 2015, les oiseaux sauvages qui utilisent au printemps les voies migratoires du Pacifique et du centre de l’Amérique du Nord transportent avec eux la souche H5N2. Celle-ci touche durement le Midwest américain où plus de 48 millions de volailles sont euthanasiées. Deux troupeaux de dindons et un de reproducteur de poulets à chair en Ontario sont infectés et euthanasiés pour éradiquer la maladie. Avec le cas au Manitoba en 2010, à ce jour, il y a eu sept épisodes d’influenza aviaire hautement ou faiblement pathogène de souche H5 ou H7 au Canada.
Les ravages du H5N8
Le Feather Board Command Center (FBCC) de l’Ontario rapportait dans son bulletin d’information de février qu’au niveau mondial 502 nouveaux troupeaux ont été déclarés infectés en janvier 2021 seulement, allongeant la liste des pays d’Europe qui faisaient état de la présence du virus sur leur territoire à 14. La France, l’Allemagne et la Corée du Sud sont tout particulièrement affectées par le H5N8, une nouvelle forme très virulente et hautement pathogène de l’influenza qui atteint principalement les canards. « La progression du virus dans les élevages domestiques du sud-ouest de la France est tellement rapide que le gouvernement n’est pas en mesure de réagir assez vite, explique Jean-Pierre Vaillancourt. Ce virus a toutefois l’avantage d’être tellement virulent pour les canards qu’ils ont de la difficulté à se déplacer. » Selon Jean-Pierre Vaillancourt, les principaux facteurs qui ont pu contribuer à la propagation de la maladie et qui sont à l’étude sont: la densité des transports, c’est-à-dire le nombre de kilomètres avicoles parcourus dans une zone donnée, la densité des sites de production ou le nombre de fermes au kilomètre carré et la densité des plans d’eau (lacs, ruisseaux, étangs) à proximité qui servent aux oiseaux sauvages.
« En France, le mode de production ancestral est remis en cause. Le Sud-Ouest a une quantité impressionnante de petits sites de productions, surtout de canards. On y trouve aussi plusieurs autres types d’oiseaux. De plus, près de 40 % de ces exploitations ont des basses-cours sur le site de production. Un autre problème concerne l’équarrissage. Le compostage est interdit en Europe et l’équarrissage est un risque lorsqu’il s’agit de millier d’oiseaux morts qui doivent être collectés et transportés », soutient Jean-Pierre Vaillancourt.
Des études génomiques et un séquençage du virus sont en cours afin de mieux comprendre sa propagation et sa transmission.
Migration des oiseaux sauvages et effets climatiques
La présence des oiseaux sauvages à proximité des fermes demeure un facteur de risque et les changements climatiques entraînent des changements de comportement chez les oiseaux qui pourraient être lourds de conséquences. « Avec les changements climatiques, nous verrons des migrations qui seront altérées et des oiseaux qui pourront se retrouver dans le Grand Nord au même moment, alors qu’historiquement ce n’était pas le cas. Un choc des écosystèmes, si on peut dire où il se fait un énorme partage de virus entre ces canards et ces oies sauvages qui se dirigent ensuite vers le sud. Depuis toujours, nous avons des migrations d’oiseaux porteurs de virus, avec un H5 ou H7 faiblement pathogène qui malheureusement contaminait des élevages commerciaux de poulets ou de dindes pour ensuite muter. On ne voyait pas ces virus recontaminer les oiseaux sauvages; mais la donne a changé depuis quelques années avec le H5N1 et le H5N8 », constate Jean-Pierre Vaillancourt.
Les risques pour les éleveurs d’ici
Existe-t-il des risques que ce virus atteigne nos côtes? Bien que potentiellement limité, il existe toujours. « Ce n’est pas un virus qui est hyper résistant. Ce qui inquiète plus que les oiseaux sauvages est la vitesse des déplacements d’un continent à l’autre. Dans une même journée, on peut déjeuner en France et souper au Québec. En France les oiseaux sauvages ont parti le bal, mais ce sont les transports et la présence humaine qui ont contribué à la dispersion du virus, tout comme l’observance de la biosécurité qui n’est pas adéquate », nous dit Jean-Pierre Vaillancourt.
M. Vaillancourt fait aussi remarquer le nouvel engouement pour l’achat local et les marchés de proximité. Une approche similaire à celle qui existe en France « La tendance au Québec est aux élevages à taille humaine, avoir ses poules et ses œufs. Toutefois, au Québec, en ce qui concerne la production commerciale, nous avons quelques régions à forte densité à Saint-Félix-de-Valois, dans la Montérégie et en Beauce, mais rien de comparable à la France. »
Même si le Canada et le Québec sont beaucoup mieux préparés qu’en 2004 pour un tel virus, il n’en reste pas moins que les défi s pour contrôler toutes formes d’influenza aviaire demeurent la rapidité d’intervention et de communication. « Il faut éviter de penser que parce qu’une production a 30 ans et qu’elle n’a jamais eu de problèmes qu’il n’y en aura jamais, explique Jean-Pierre Vaillancourt. Les mesures de biosécurité développées par l’ECQMA doivent être appliquées correctement. Si la grippe aviaire nous obligeait à détruire des troupeaux de reproduction, les éleveurs devraient mettre deux ans pour remettre leur production à niveau. » Un pensez-y bien qu’elle que soit la souche d’influenza aviaire.
Collaborateurs spéciaux : Jean-Pierre Vaillancourt, DMV, MSC, PHD, professeur titulaire au Groupe de recherche en épidémiologie des zoonoses et santé publique et au Centre de recherche en infectiologie porcine et avicole de la Faculté de médecine vétérinaire et Martin C. Pelletier, AGR., MBA, coordonnateur à l’Équipe québécoise de contrôle des maladies avicoles.