À Saint-Georges, en Beauce, Alphonse Parent et Georgette Nolet produisent des dindes de grande qualité, grâce à des astuces toutes simples et à des soins vigilants. Ensemble, ils ont eu 10 enfants et 12 petits-enfants, dont quelques-uns seront peut-être de la relève. Avec très peu de moyens au départ, une grande polyvalence et beaucoup de courage, ils ont bâti une entreprise belle et rentable.
Quand la persévérance fait son chemin
À 86 ans, Alphonse Parent dit s’amuser sur sa ferme. « Quand on a passé plus de 40 ans dans la construction à travailler des 100 heures par semaine, tout en restant agriculteur, ça paraît facile de se consacrer uniquement à la gestion de la ferme », dit le copropriétaire de la Ferme Alphonse Parent. En effet, c’est avec Georgette Nolet que le producteur a fondé son entreprise agricole en 1970. Elle a participé activement aux travaux et aux progrès de la ferme au fil des années.
Les enfants aussi se sont largement impliqués dans cette exploitation laitière et avicole. Celle-ci compte aujourd’hui près d’une trentaine de vaches en lactation et loge trois à quatre lots de 6000 dindes par année. Comme dans toutes les fermes, Georgette et Alphonse ont eu leur part de difficultés et de défis.
Patients et persévérants, comme la rivière
Alphonse a grandi dans une ferme. Ses parents élevaient des vaches laitières, quelques porcs et quelques animaux de basse-cour. Tout jeune, il avait déjà développé un talent pour les volailles. « À 15 ou 16 ans, je m’achetais une centaine de poulets — entre autres de la race Chantecler — et je les élevais avec l’aide de mes frères dans un petit poulailler que j’avais aménagé », se souvient-il. Un an auparavant, le futur aviculteur avait quitté l’école après une dixième année d’études réussie. « J’avais de bons résultats et ma mère voulait que je devienne prêtre », dit-il.
Cependant, ce destin convenait mal à son esprit débrouillard et indépendant. Pas question, toutefois, de vivre aux dépens de sa famille. C’est pourquoi, en plus d’élever des poulets à son compte, il a appris le métier de bûcheron. Le boisé familial et ceux de la région lui ont permis de faire ses premières armes. « J’ai ensuite bûché aux États-Unis. Dans ce temps-là, les premières scies à chaîne pesaient 50 livres alors que j’en pesais à peine le double ! »
À 21 ans, Alphonse met sa tronçonneuse de côté pour réaliser son rêve de produire de la volaille. C’est ainsi qu’en 1956, à Saint-Zacharie, il déniche une écurie de 43 m (140 pi) qu’il transforme en un poulailler confortable et moderne. À cette époque, le jeune homme n’a pour s’aider qu’un cheval, un camion aux roues à bandage de caoutchouc dur et une traîne pour sortir le fumier du bâtiment. Dans cette bâtisse, il élèvera des volailles pendant quatre ans. Néanmoins, les profits ne sont pas au rendez-vous. « Il n’y avait pas de Plan conjoint dans ce temps-là, raconte Alphonse Parent. Des fois, on gagnait 500 dollars, parfois on en perdait 1000. » Sans abandonner son idéal, il le laissera toutefois sur la glace.
Son prochain défi : le domaine de la construction. Le jeune Alphonse devient ouvrier à la journée et y met toute son ardeur. Cela ne l’a pas empêché d’acheter une seconde terre agricole en 1961, sur la route qui allait s’appeler la 1re Avenue Sartigan, à ville Saint-Georges, à deux pas de la rivière Chaudière. « Tout le bois de la propriété avait été coupé, mais je comptais bien un jour y bâtir un poulailler. »
Entretemps, la providence avait mis sur le chemin d’Alphonse une jolie jeune femme nommée Georgette Nolet. Elle n’avait pas grandi dans une ferme. Son père tenait un garage à Saint-Zacharie. Pourtant, elle a sauté à pieds joints dans ce nouveau défi et s’est rapidement révélée une agricultrice hors pair.
Puis, des enfants ont commencé petit à petit à égayer la vie du couple. Et pour nourrir la famille naissante, Alphonse devait se fier à ses revenus d’ouvrier en construction. Mais pour assumer les frais de la ferme à venir, tout restait à faire. « Encore une fois, les banques se montraient hésitantes. Puis, j’ai rencontré un conseiller intelligent, Jean Pelletier, chez Financement agricole Canada. Il m’a regardé dans les yeux et m’a dit : “Je viens vous rendre visite”. Quinze jours plus tard, il a fait le tour de notre terre. Et il nous a accordé le prêt. J’étais le plus heureux du monde ! »
La chance allait se montrer à nouveau le bout du nez en 1969. L’un des administrateurs de l’UPA, Marcel Giguère, lance au producteur en devenir : « Fonce, le Plan conjoint arrive ! » Et justement, sur sa propriété, le bois avait recommencé à pousser. Le long d’un ruisseau à assécher qui la traversait, le gouvernement a dû abattre une lisière d’arbres. Alphonse Parent a demandé à l’entrepreneur de laisser les troncs sur place. Dans un moulin à scie tout près de là, il a fait fabriquer les planches de son nouveau poulailler. L’édification du bâtiment allait bon train, l’entrepreneur ayant reçu l’aide de deux de ses frères et d’un neveu. « À nous quatre, nous avons monté les deux murs de 110 pieds ! Nous avons mis beaucoup de soin et le poulailler a été très bien construit », raconte Alphonse Parent.
La mise sur pied du bâtiment a duré trois mois, plus précisément jusqu’au 5 septembre 1970. « Le 23 novembre suivant, les dindons arrivaient, à 18 h, et le Plan conjoint était adopté le mois d’après ! », se souvient l’aviculteur.
Faute de moyens pour démarrer, il avait fabriqué lui-même plusieurs pièces d’équipement, notamment les trémies-mangeoires et les abreuvoirs, avec des chaudières et de la tôle achetées à Sainte-Marie. Ces appareils habilement conçus ont d’ailleurs servi pendant une bonne dizaine d’années !
Tous au travail
Tout comme la rivière qui coule juste à côté, la ferme a évolué, tranquillement, mais sûrement. Elle s’est modernisée au fil des nouvelles technologies. Pour seconder son conjoint entrepreneur en construction et agriculteur, Georgette a été d’un secours extraordinaire, comme mère de famille et dans l’entreprise souligne son mari. « Et nos enfants, sept garçons et trois filles, ont grandi en travaillant à la ferme, dit-il. Dans le poulailler, chacun avait sa rangée de trémies ! »
Parallèlement, avec le temps et l’expérience, Alphonse finira par créer sa propre entreprise avec deux associés en 1978 : Les Constructions P.A.D. inc. Dynamique et infatigable, l’homme multipliera les contrats et sa compagnie grandira, au point d’embaucher jusqu’à 30 employés !
Revenons un peu en arrière. Le destin est venu éprouver le couple Nolet-Parent. L’un de leurs fils s’est enlevé la vie, à l’âge de 16 ans. Le choc a été terrible. « Il nous a fallu beaucoup de courage, raconte le père de famille. Nous avons beaucoup pleuré, en essayant de comprendre. » Sa fille Carole ajoute : « En plus, dans ce temps-là, on ne pouvait pas parler du suicide, nous devions garder cela pour nous. Cela a empiré notre douleur. » Et puis un jour, Georgette, Alphonse et leurs enfants ont décidé de regarder devant, en se donnant des projets et en travaillant. « Nous avons aussi voyagé un peu. Tout cela nous a aidés. » Cette philosophie leur a également servi à apaiser leur peine lorsque, plusieurs années plus tard, la mort leur a ravi un autre fils, un brillant ingénieur de 54 ans.
Comme on s’en doute, les activités de la ferme ont rendu les enfants du couple Parent-Nolet débrouillards et polyvalents. C’est pourquoi trois de leurs garçons, Yvon, Claude et Stéphane, quelques années plus tard, ont facilement pu rejoindre leur père dans sa compagnie de construction. Yvon a aussi continué à s’occuper de la ferme familiale avec son frère Raymond et leur sœur Carole.
Aujourd’hui, le volet laitier de la Ferme Alphonse Parent est sous la responsabilité de Raymond. Précisons que Georgette Nolet a été responsable de la traite des vaches jusqu’en 2008, à l’âge de 72 ans, en plus de donner un coup de pouce dans le poulailler. « Elle a commencé par traire à la main et a poursuivi avec les trayeuses », raconte Carole. Malheureusement, cette grande dame est maintenant atteinte de surdité et clouée sur un fauteuil roulant par l’arthrite rhumatoïde. « C’est difficile de ne pas lui parler comme avant, car c’était ma confidente », glisse Alphonse.
Le poulailler abrite aujourd’hui trois à quatre lots de 6000 dindes par année. Yvon seconde son père au début des élevages de dindes, pour le nettoyage et la désinfection du bâtiment, la réception des poussins et tous les soins nécessaires. Il a pris ainsi la relève de Carole et Raymond. Ce dernier et Yvon sont aussi d’habiles mécaniciens.
Une qualité qui fait envie
La qualité des dindes commerciales de la Ferme Alphonse Parent est aujourd’hui reconnue. Ces oiseaux souvent cotés Classe A affichent par rapport à la moyenne un poids plus gros et plus uniforme, une excellente conversion alimentaire, et un taux de déclassement et de mortalité nettement inférieur. « Au couvoir, on m’a suggéré de former les producteurs sur le démarrage d’un troupeau de dindes », raconte M. Parent. Cette étape est en effet cruciale selon lui. « La première journée, il faut faire une ronde toutes les heures pour s’assurer du bien-être des poussins et du bon fonctionnement de nos installations à tous les niveaux : alimentation, abreuvement, chauffage, ventilation, éclairage. Et pendant quelque temps par la suite, on doit venir trois fois par jour. »
Par l’observation, il a mis au point des pratiques toutes simples qui améliorent la santé et la performance des dindonneaux. Autour des veilleuses, il dispose en cercle des mangeoires temporaires de carton d’environ 60 cm (2 pi) de long, et entre chacune d’elles un petit bol d’eau. « Comme ça, les poussins ne manquent pas d’eau, surtout qu’ils ont du mal, au début, à s’abreuver aux rangées de tétines. » Pour cette même raison, entre ces rangées, l’aviculteur place également quelques abreuvoirs de plastique traditionnels (les « tuques rouges »), qu’il enlèvera graduellement par la suite. Pendant le démarrage, la section est éclairée efficacement 24 heures par jour au moyen de lampes à diodes électroluminescentes (DEL).
La litière est étendue sur une bonne épaisseur et M. Parent la choisit la plus fine possible. « Les oiseaux y jouent davantage et restent plus propres, car la litière se mélange mieux quand ils courent, ce qui prévient le croûtage », a-t-il remarqué.
« À partir de l’âge de deux jours, je sers aux dindonneaux du petit gravier pour qu’ils en accumulent dans leur gésier : c’est essentiel, ça se ferait comme ça dans la nature », poursuit-il. Comme on le sait, ces menus cailloux facilitent le broyage et la digestion des céréales. « Même après 50 ans, quand les poussins arrivent, je me réjouis comme si c’était la première fois ! »
Au jour le jour
Il y a douze ans, Alphonse Parent a vendu sa compagnie de construction. Elle est dirigée à l’heure actuelle par son fils Claude et son petit-fils Steeven. L’entrepreneur peut donc se consacrer entièrement à son exploitation avicole, tout en supervisant la section laitière confiée à son fils Raymond. M. Parent se lève à 4 h du matin et travaille jusqu’à 20 h ou 21 h. La tournée de la dindonnière occupe son début de matinée. Il y reste selon les besoins des oiseaux ou les tâches à accomplir. Ou alors, il se rend à son bureau effectuer ses commandes, gérer ses dossiers ou consulter les rapports d’élevage ou la météo sur son ordinateur. On le voit ensuite pendant la belle saison au volant de son tracteur dans les champs, ou encore dans sa magnifique forêt de 100 hectares, riche en espèces résineuses et feuillues. Les tâches se terminent au soir par son rituel incontournable depuis toujours, même quand il était entrepreneur : la tournée de l’étable et du poulailler.
Toutes ces activités le gardent en forme, confie l’aviculteur. « On me dit que j’ai l’air de quelqu’un de 60 ans. L’agriculture, ce n’est pas un travail, c’est un mode de vie. Moi, je m’amuse ! »
L’avenir
Tant qu’il y aura un Plan conjoint, M. Parent a confiance en l’avenir du secteur avicole. Le producteur n’hésiterait pas, s’il était jeune, à investir avec un emprunt d’un million de dollars dans ce domaine. Son petit-fils Steeven souhaitera possiblement prendre la relève des deux volets de la Ferme Alphonse Parent. « Si c’est le cas, je l’encouragerai et le conseillerai de mon mieux. Mais je serai là aussi pour le freiner s’il veut grossir trop vite. Il faut savoir économiser et rentabiliser ce qu’on a déjà. Moi, je ne jette rien : je me plie encore pour ramasser un taraud ! »
Même après le transfert de l’entreprise, M. Parent a l’intention de continuer à y travailler, comme employé peut-être. Sa grande expertise y sera des plus précieuses ! Et aussi son désir de bien faire les choses, de bien soigner les oiseaux. « Il faut aimer ses animaux, résume M. Parent. Moi, entre deux élevages, je m’ennuie ! »