Texte de Nicolas Deslauriers, MCB. A., M. SC., candidat au doctorat et Laura Guerrero, B. SC., candidate à la maîtrise.
Afin de diminuer l’antibiorésistance, la réduction de l’utilisation d’antibiotiques en employant d’autres solutions pour prévenir le développement de maladies infectieuses chez les animaux d’élevage, est essentielle. Mais, quelles sont quelques-unes des avancées qui suscitent l’intérêt des spécialistes et qui seront bientôt utilisées dans un élevage comme le vôtre ?
On observe le phénomène de résistance aux antibiotiques, ou antibiorésistance, lorsqu’un microorganisme exposé à un ou plusieurs antibiotiques acquiert des gènes qui assurent sa survie lors d’un traitement d’antibiotiques. Bien que la surconsommation et l’utilisation inadéquate d’antibiotiques amplifient l’apparition de bactéries résistantes, l’antibiorésistance peut aussi survenir de façon naturelle. Ces bactéries résistantes représentent un danger tant pour les animaux malades ne répondant plus aux traitements d’antibiotiques que pour les humains.
Vaccinologie inverse : une stratégie rapide, peu coûteuse et efficace
Les récentes avancées scientifiques du séquençage de l’information génétique et des outils bio-informatiques ont donné naissance à une nouvelle approche appelée « vaccinologie inverse ». On emploie le terme vaccinologie inverse, car on utilise directement l’information génétique (ADN) d’un microorganisme pathogène afin de prédire tous ses antigènes (protéines) de surface selon de multiples critères de sélection. Quant à elle, la vaccinologie traditionnelle est basée sur la culture du microorganisme, la désactivation complète ou l’affaiblissement du microorganisme ou d’une particule de celui-ci avant son administration au patient. Ensuite, le pouvoir immunogène, qui crée une réaction immunitaire chez l’hôte, est évalué et la composante microbienne responsable identifiée. Ce procédé beaucoup plus long, plus dispendieux, dépend de la culture de la bactérie et n’identifie pas tous les antigènes présents. Donc, selon le schéma du développement d’un vaccin, la vaccinologie inverse prend le chemin contraire de la vaccinologie traditionnelle. Cette nouvelle stratégie dépend de l’exploration du génome (ensemble des gènes) d’un agent infectieux afin d’identifier tous les antigènes présents à sa surface. En comparant le génome d’une souche (individu) infectieuse avec celui d’une souche non infectieuse du même agent, il est possible de mettre au point un vaccin efficace prévenant une maladie sans affecter les microorganismes bénéfiques d’un hôte.
Cette stratégie de prévention est attrayante, car elle est moins dispendieuse et permet d’identifier davantage de cibles de vaccination comparativement à la vaccinologie traditionnelle. Grâce à la vaccinologie inverse, il sera possible de développer de futurs vaccins et d’assurer la prévention des maladies chez les animaux d’élevage tout en participant à la réduction de l’antibiorésistance.
Les bactériocines : un prébiotique prometteur
Outre la vaccinologie inverse, il existe diverses options intéressantes au remplacement de l’utilisation d’antibiotiques en élevage pour prévenir les maladies. Parmi celles-ci, on retrouve l’utilisation de molécules appelées « bactériocines » administrées sous forme de prébiotiques. L’origine du terme « prébiotique » remonte à plus de 20 ans et on le décrit comme toute substance nutritive permettant de stimuler le microbiote intestinal sain, soit en veillant au bon équilibre entre les différents microorganismes de l’intestin.
Le terme « bactériocine » quant à lui est apparu en 1925 et n’a jamais cessé d’intriguer la communauté scientifique. Les bactériocines sont défi nies comme des peptides (protéines) ayant une activité antimicrobienne contre une multitude d’espèces bactériennes, virales et même fongiques.
Il est possible de penser que ces protéines font simplement partie d’une différente classe d’antibiotiques. Or, les bactériocines sont synthétisées différemment des antibiotiques et leur spectre d’action est majoritairement à spectre étroit (espèces bactériennes génétiquement proches) contrairement aux antibiotiques dont le spectre d’action est plus étendu (espèces bactériennes plus ou moins génétiquement proches). De plus, les bactériocines sont produites par les microorganismes durant leur phase de croissance primaire alors que les antibiotiques d’origine microbienne sont plutôt produits en phase de décroissance et sont appelés métabolites secondaires. Il est possible de distinguer les deux types de molécules par leur mode d’action.
En effet, les antibiotiques possèdent divers modes actions (pores membranaires, inhibition de la synthèse protéique et autres), alors que les bactériocines agissent majoritairement en créant des pores dans la membrane des bactéries. De cette façon, le contenu interne des cellules ciblées s’échappe par les pores, ce qui cause éventuellement leur mort cellulaire. Dans un environnement compétitif comme l’intestin d’un hôte, la production de ces molécules antimicrobiennes représente un avantage essentiel pour un microorganisme qui tente d’éliminer ses compétiteurs pour s’assurer l’accès aux nutriments.
L’utilisation de cette stratégie microbienne est plus qu’intéressante pour les chercheurs désirant développer un produit efficace prévenant diverses maladies observées chez les animaux d’élevage tout en contribuant à la réduction de l’antibiorésistance. Ainsi, en identifiant et caractérisant davantage de bactériocines, il serait possible de mettre au point un prébiotique efficace permettant d’inhiber la croissance de microorganismes pathogènes et de prévenir les maladies chez les animaux d’élevage au même moment.
Il est important de ne pas confondre les termes prébiotique et probiotique. Un probiotique contient un ou plusieurs microorganismes vivants considérés bénéfiques pour le microbiote intestinal. Puisque les microorganismes qui produisent les bactériocines possèdent un gène leur conférant une protection contre cette même bactériocine et qu’ils ont la capacité d’échanger de l’information génétique à d’autres individus, le développement d’un produit sous forme de probiotique semble être inadéquat et même dangereux (à cause du risque de transférer le gène d’immunité à un microorganisme pathogène). Cependant, parce qu’ils sont des produits naturels et stables sous diverses conditions, les bactériocines représentent un outil attrayant.
L’approfondissement de nos connaissances sur ces peptides antimicrobiens et des techniques qui permettent l’administration sécuritaire aux animaux d’élevage est prometteur pour l’industrie de la production animale.
Représentation schématisée des différences entre un prébiotique, un probiotique et un antibiotique.
Un prébiotique ne contient que la molécule ayant des effets positifs sur le microbiote intestinal (bactériocine dans ce cas-ci). Un probiotique contient le ou les microorganismes producteurs de la molécule d’intérêt. Un antibiotique contient une molécule inhibant la croissance de microorganismes du microbiote intestinal. Dans le cas des bactériocines, on observe qu’elles sont spécifiques à l’espèce du microbiote intestinal la plus similaire à l’espèce productrice. Pour l’antibiotique, on observe que son activité est plus étendue et affecte aussi les microorganismes adjacents.
Vésicules membranaires extracellulaires : la nouvelle révolution dans le monde des vaccins?
Avec la situation actuelle d’antibiorésistance observée dans l’industrie de production animale, il est nécessaire d’explorer de nouvelles solutions. C’est dans ce contexte que le concept de la vaccination et la stimulation du système immunitaire de l’oiseau prennent toute leur importance. De nouvelles avancées en bactériologie ont démontré l’existence de structures qui joueraient un rôle important dans la croissance cellulaire, les vésicules membranaires extracellulaires (VMEs).
Alors qu’on étudie les vésicules depuis longtemps, les mécanismes de biosynthèse, leur composition et leur fonction ont été élucidés que récemment. Les VMEs sont connues pour être des nanoparticules produites par le métabolisme de la plupart des microorganismes, tels que les parasites et les bactéries. Généralement, les vésicules sont des structures rondes, de tailles variables, et sont libérées par le bourgeonnement des microorganismes en croissance. Les conditions de production de ces vésicules peuvent être diverses, soit optimales ou physiologiquement stressantes.
Grâce aux études récentes, il a été découvert que les VEMs représentent un nouveau mécanisme de sécrétion permettant la libération d’une multitude de molécules responsables de différentes fonctions chez les microorganismes, tels que la compétition entre bactéries, la survie, l’évasion et la modulation de la réponse immunitaire chez l’hôte. Il est considéré que dans les molécules d’importance on trouve des protéines et du matériel génétique (ADN) qui permettent l’activation et l’augmentation de la réponse immunitaire chez l’hôte. Cette dernière observation encourage fortement les chercheurs à utiliser les VEMs pour la mise au point de nouveaux vaccins. Contrairement à certains vaccins traditionnels, l’utilisation des VMEs garantit la sécurité de l’hôte, puisque ses composés ne sont que des particules du microorganisme et non pas le microorganisme lui-même, vivant ou atténué.
De plus, les VMEs peuvent être génétiquement modifiées afin de générer une réponse immunitaire spécifique chez l’hôte. Idéalement, cette alternative offre une approche positive, car on peut réduire la présence d’agents pathogènes dans les zones de production animale. Ce nouveau concept représente une approche innovante et moins coûteuse que le développement de vaccins traditionnels.
En considérant leurs avantages multiples, les vésicules membranaires extracellulaires semblent être une stratégie de prévention prometteuse pour l’industrie de production animale afin de prévenir les maladies tout en assurant la performance des animaux d’élevage.
La diminution de la résistance microbienne aux antibiotiques débute par la réduction de leur utilisation chez les animaux d’élevages. Par chance, diverses alternatives innovantes actuellement étudiées sont prometteuses. Le développement de ces dernières fait partie des missions principales de la Chaire en recherche avicole de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal dont la médecin vétérinaire et professeure Martine Boulianne en est titulaire. Bien qu’il soit encore trop tôt pour pouvoir recourir à ces alternatives, celles-ci seront testées sous peu en laboratoire dans l’espoir de proposer une solution à un problème de taille : l’antibiorésistance.